Chant pour un équinoxe

Le recueil, édité à titre posthume en 1975 aux Éditions Gallimard, réunit plusieurs poèmes :

· Chanté par Celle qui fut là écrit en 1968 à la presqu’île de Giens.

Amour, ô mon amour, immense fut la nuit, immense notre veille où fut tant d'être consumé.
Femme vous suis-je, et de très grand sens, dans les ténèbres du coeur d'homme. La nuit d'été s'éclaire à nos persiennes closes ; le raisin noir bleuit dans les campagnes ; le câprier des bords de route montre la rose de sa chair ; et la senteur du jour s'éveille dans vos arbres à résine.
[…]

 

· Chant pour un équinoxe écrit en 1971 à la presqu’île de Giens.

[…] Sire, Maître du sol, voyez qu'il neige, et le ciel est sans heurt, la terre franche de tout bât :
terre de Seth et de Saül, de Che Houang-ti et de Cheops.

La voix des hommes est dans les hommes, la voix du bronze dans le bronze, et quelque part au monde
où le ciel fut sans voix et le siècle n'eut garde,

Un enfant naît au monde dont nul ne sait la race ni le rang, et le génie frappe à coups sûrs aux lobes d'un front pur. […]

 

· Nocturne écrit en 1972 à la presqu’île de Giens.

[…] Les voici mûrissants, ces fruits d'une autre rive. « Soleil de l'être, couvre-moi ! » - parole du transfuge. Et ceux qui l'auront vu passer diront : qui fut cet homme, et quelle, sa demeure ? Allait-il seul au feu du jour montrer la pourpre de ses nuits ? … Soleil de l'être, Prince et Maître ! nos œuvres sont éparses, nos tâches sans honneur et nos blés sans moisson : la lieuse de gerbes attend au bas du soir. – Les voici teints de notre sang, ces fruits d'un orageux destin.

À son pas de lieuse de gerbes s'en va la vie sans haine ni rançon.

 

· Sécheresse écrit en 1974 à la presqu’île de Giens.

[…] Quand la sécheresse sur la terre aura pris ses assises, nous connaîtrons un temps meilleur aux affrontements de l'homme : temps d'allégresse et d'insolence pour les grandes offensives de l'esprit. La terre a dépouillé ses graisses et nous lègue sa concision. À nous de prendre le relais ! Recours à l'homme et libre course !

Sécheresse, ô faveur ! honneur et luxe d'une élite ! Dis-nous le choix de tes élus… Sistre de Dieu, sois-nous complice. La chair ici nous fut plus près de l'os : chair de locuste ou d'exocet ! La mer elle-même nous rejette ses navettes d'os de seiche et ses rubans d'algues flétries : éclipse en manque de toute chair, ô temps venu des grandes hérésies !

Quand la sécheresse sur la terre aura tendu son arc, nous en serons la corde brève et la vibration lointaine. Sécheresse, notre appel et notre abréviation…[…]