Exil

Le recueil Exil est publié en 1944 aux éditions des Lettres Françaises à Buenos Aires. Il comporte plusieurs poèmes :

· Exil
écrit aux États-Unis, à Long Beach Island, New Jersey, en 1941

À nulles rives dédiée, à nulles pages confiée la pure amorce de ce chant... D’autres saisissent dans les temples la corne peinte des autels : Ma gloire est sur les sables ! ma gloire est sur les sables !... Et ce n’est point errer, ô Pérégrin,
Que de convoiter l’aire la plus nue pour assembler aux syrtes de l’exil un grand poème né de rien, un grand poème fait de rien... Sifflez, ô frondes par le monde, chantez, ô conques sur les eaux ! J’ai fondé sur l’abîme et l’embrun et la fumée des sables. Je me coucherai dans les citernes et dans les vaisseaux creux, En tous lieux vains et fades où gît le goût de la grandeur
. […]

Exil II.

 

· Pluies
écrit aux États-Unis, en partie à Savannah, Géorgie, entre 1942 et 1943.

[…] Douceur d'agave, d'aolès… fade saison de l'homme sans méprise ! C'est la terre lassée des brûlures de l'esprit.
Les pluies vertes se peignent aux glaces des banquiers. Aux linges tièdes des pleureuses s'effacera la face des dieux-filles.
Et des idées nouvelles viennent en compte aux bâtisseurs d'Empires sur leur table. Tout un peuple muet se lève dans mes phrases, aux grandes marges du poème
. […]

Pluies V.

 

· Neiges
écrit aux États-Unis, à New York, en 1944.

Et puis vinrent les neiges, les premières neiges de l'absence, sur les grands lés tissés du songe et du réel ; et toute peine remise aux hommes de mémoire, il y eut une fraîcheur de linges à nos tempes. Et ce fut au matin, sous le sel gris de l'aube, un peu avant la sixième heure, comme en un havre de fortune, un lieu de grâce et de merci où licencier l'essaim des grandes odes du silence.

Et toute la nuit, à notre insu, sous ce haut fait de plume, portant très haut vestige, et charge d'âmes, les hautes villes de pierre ponce forées d'insectes lumineux n'avaient cessé de croître et d'exceller, dans l'oubli de leur poids. Et ceux-là seuls en surent quelque chose, dont la mémoire est incertaine et le récit est aberrant. La part que prit l'esprit à ces choses insignes, nous l'ignorons. [...]

 

Neiges, I.

 

· Poème à l'Étrangère
écrit aux États-Unis, à « Georgetown », Washington, en 1942.

[...] Poème à l'Étrangère ! Poème à l'Émigrée !… Chaussée de crêpe ou d'amarante entre vos hautes malles inécloses ! ô grande par le cœur et par le cri de votre race !… L'Europe saigne à vos flancs comme la Vierge du Toril. Vos souliers de bois d'or furent aux vitrines de l'Europe
et les sept glaives de vermeil de Votre Dame des Angoisses.

Les cavaleries encore sont aux églises de vos pères, humant l'astre de bronze aux grilles des autels. Et les hautes lances de Bréda montent la garde au pas des portes de famille. Mais plus d'un cœur bien né s'en fut à la canaille. Et il y avait bien à redire à cette enseigne du bonheur, sur vos golfes trop bleus,
comme le palmier d'or au fond des boîtes à cigares. […]

 

Poème à l'Étrangère III.