Éloges
Publié en 1911 aux éditions de la NRF, le recueil Éloges est modifié dans les éditions ultérieures (1925, 1948). Il comporte plusieurs poèmes :
· Écrit sur la porte
daté de 1908.
[...] Un homme est dur, sa fille est douce. Qu’elle se tienne toujours à son retour sur la plus haute marche de la maison blanche, et faisant grâce à son cheval de l’étreinte des genoux, il oubliera la fièvre qui tire toute la peau du visage en dedans.
*
J’aime encore mes chiens, l’appel de mon plus fin cheval, et voir au bout de l’allée droite mon chat sortir de la maison en compagnie de la guenon… toutes choses suffisantes pour n’envier pas les voiles des voiliers que j’aperçois à la hauteur du toit de tôle sur la mer comme un ciel.
· Images à Crusoé
daté de 1904 mais vraisemblablement écrit en 1906 selon Joëlle Gardes Tamine (directrice de publication de Saint-John Perse sans masque, Lecture philologique de l’œuvre, Poitiers-Rennes, La Licorne-Presses universitaires de Rennes, 2006).
Vieil homme aux mains nues,
remis entre les hommes, Crusoé !
tu pleurais, j'imagine quand des tours de l'Abbaye, comme un flux, s'épanchait le sanglot des cloches sur la Ville…
ô Dépouillé !
Tu pleurais de songer aux brisants sous la lune ; aux sifflements de rives plus lointaines ; aux musiques étranges qui naissent et s'assourdissent sous l'aile close de la nuit,
pareilles aux cercles enchaînés que sont les ondes d'une conque, à l'amplification de clameurs sous la mer…
Images à Crusoé, Les Cloches.
· Pour fêter une enfance
daté de 1907.
Palmes...!
Alors on te baignait dans l'eau-de-feuilles-vertes ; et l'eau encore était du soleil vert ; et les servantes de ta mère, grandes filles luisantes, remuaient leurs jambes chaudes près de toi qui tremblais...
(Je parle d'une haute condition, alors, entre les robes, au règne de tournantes clartés.)
Palmes ! et la douceur
d'une vieillesse des racines ... ! La terre
alors souhaita d'être plus sourde, et le ciel plus profond, où des arbres trop grands, las d'un obscur dessein, nouaient un pacte inextricable...
(J'ai fait ce songe, dans l'estime : un sûr séjour entre les toiles enthousiastes.) [...]
Éloges, Pour fêter une enfance, I.
· Éloges
daté de 1908.
Enfance, mon amour, j'ai bien aimé le soir aussi : c'est l'heure de sortir.
Nos bonnes sont entrées aux corolles des robes... et collés aux persiennes, sous nos tresses glacées, nous avons
vu comme lisses, comme nues, elles élèvent à bout de bras l'anneau mou de la robe.
Nos mères vont descendre, parfumées avec l'herbe-à-Madame-Lalie... Leurs cous sont beaux. Va devant et annonce : Ma mère est la plus belle !
— J'entends déjà
les toiles empesées
qui traînent par les chambres un doux bruit de tonnerre... Et la Maison ! la Maison ? ... on en sort !
Le vieillard même m'envierait une paire de crécelles
et de bruire par les mains comme une liane à pois, la guilandine ou le mucune.
Ceux qui sont vieux dans le pays tirent une chaise sur la cour, boivent des punchs couleur de pus.
Éloges, XV.