Annexe VIIILettre de Noblet à Louis Marin, Président de l’enquête parlementaire, 14 February 1931

(dossier Noblet, Diplomatic archives)

Mrs. de Noblet saisit la Commission d’enquête

Ainsi que l’annonçait, hier, Charles Maurras, dans sa Politique[1], nous mettons aujourd’hui sous les yeux de nos lecteurs la lettre par laquelle M. de Noblet, à qui se dérobe la justice régulière en collusion frauduleuse avec les interventions politiques, a saisi la commission d’enquête. La lettre porte la date du 14 February 1931.

Mrs. de Noblet rappelle d’abord comment des divulgations de documents officiels, commises dans « l’entourage immédiat de M. Briand au Quai d’Orsay », déterminèrent, à l’automne de 1928, la rupture de l’accord naval franco-anglais : the 20 September, Mrs. Hearst se procurait le texte du pacte et déchaînait dans sa presse aux États-Unis, une campagne violente contre ce rapprochement franco-anglais : the 5 th, un journal français[2] portait le coup décisif au pacte en publiant le texte de trois notes secrètes échangées entre Paris et Londres et révélant toute la portée du pacte. Briand et son Cabinet (Peycelon[3] et Léger), pour apaiser l’opinion, expulsaient de France le correspondant de Hearst, Mrs. Horan. Celui-ci déclinait toute responsabilité dans les négociations de Hearst, son Directeur en appelait à l’Association de la presse américaine. « Aussitôt », écrit M. de Noblet :

« Aussitôt le Chef de Cabinet de M. Briand organisa avec la Préfecture de police une odieuse intervention policière. Mrs. Léger savait déjà, par des constatations précises faites au service de presse et par des documents indiscutables (correspondance télégraphique échangée à propos de la publication entre MM. Hearst, Horan et l’agence Hearst à New York), que les déclarations de M. Horan étaient exactes et que :

1° aucun des documents disparus ne pouvait provenir du service de presse du ministère ;
2° la circulaire ainsi que le pacte naval avaient été remis volontairement à M. Hearst lui-même.

« Cependant, the 8 th, Mrs. Horan arrêté en pleine avenue de l’Opéra par plusieurs inspecteurs de la police judiciaire, dont le Directeur était alors M. André Benoist[4], fut amené dans le bureau du commissaire Faux-Pas-Bidet et contraint de signer, sous la promesse écrite du secret et d’une intervention en sa faveur, un procès-verbal dicté par ce dernier. Puis il fut invité à gagner la frontière.

« Deux jours plus tard; the 10 th, rappelé par un télégramme officiel du Quay d’Orsay, de la campagne où j’étais en congé depuis plus de trois semaines, je tombai à mon arrivée à Paris dans un guet-apens policier qui m’était tendu par M. Léger, dans les locaux mêmes du Cabinet du Ministre.

« Envoyé à la police, sous prétexte de collaborer à l’enquête ouverte par le ministère, j’ai été, pendant dix-sept heures[5], détenu dans le Cabinet du commissaire Faux-Pas-Bidet qui essaya, par tous les moyens, de surprendre ma bonne foi, puis de m’effrayer par la menace de la séquestration, jusqu’à 4 heures du matin, en vue de me faire reconnaître que l’exemplaire de la circulaire officielle utilisé par la presse Hearst provenait du service de la presse et avait été emporté de mon bureau au cours d’une conversation par un journaliste français. DANS CE BUT, Mrs. LÉGER AVAIT PRIS DANS LE COFFRE-FORT DU SERVICE DE PRESSE L’EXEMPLAIRE MÊME DE CE SERVICE POUR LE REMETTRE AU COMMISSAIRE, ET M’APPORTER AINSI LA PREUVE DE SA SOUSTRACTION.

« La manœuvre policière n’ayant pas réussi, Mrs. Léger essaya ensuite d’obtenir mon adhésion à la thèse déjà mise en circulation dans les journaux en me faisant affirmer que les résultats de son enquête prouvaient qu’un deuxième exemplaire avait été envoyé par erreur et en dehors de ma connaissance à mon service, et qu’il y avait par conséquent eu soustraction, bien que l’exemplaire du service ait été retrouvé intact.

« JE REFUSAI D’AFFIRMER L’EXISTENCE D’UN DOUBLE QUE JE N’AVAIS JAMAIS VU.

« Le CONSEIL DES MINISTRES, sur les conclusions de M. Léger, transmises par M. Briand, décida de soumettre l’affaire au ministère de la Justice, en le laissant libre d’y donner la suite qu’il jugerait utile. C’est alors que M. Briand, malgré le refus deux fois opposé par le ministère de la Justice, malgré l’avis formel de son propre jurisconsulte, Mrs. Basdevant, professeur à la Faculté de Paris, exigea contre moi des poursuites judiciaires sous l’inculpation d’espionnage. »

Briand insistait pour obtenir ces poursuites : ne fallait-il pas, à lui-même et à son Cabinet complice (Gilbert Peycelon, le G. P. concussionnaire de l’affaire Oustric[6], et Alexis Léger) un bouc émissaire ?

Le garde des Sceaux était alors M. Barthou. Après avoir tenté par deux fois de résister aux pressions scandaleuses de Briand, car il redoutait la vigilance de l’ACTION FRANCAISE alertée, Médor-Barthou finit par céder au chantage plus pressant encore de Briand et de la police, et fit ouvrir une instruction.

« L’instruction menée par le juge Girard ne tarda pas à faire apparaître, malgré les efforts de certains fonctionnaires envoyés comme témoins par le ministère des Affaires étrangères, l’impossibilité absolue de la thèse soutenue par l’enquête administrative et policière de l’existence d’un deuxième exemplaire au service de presse en dehors de celui qui avait été retrouvé dans le coffre-fort de ce service. Bien mieux, des témoignages concordants et indiscutables établirent que le journaliste qui prétendait avoir reçu la circulaire dans mon bureau AVAIT POURSUIVI SANS SUCCÈS SES RECHERCHES PLUSIEURS JOURS APRÈS MON DÉPART DE PARIS.

« M. Girard fut alors nommé Conseiller à la Cour et DÉPOSSÉDÉ DU DOSSIER, bien qu’il eût annoncé son intention de terminer son enquête avant de quitter ses fonctions. Il fut remplacé par un autre juge [Aubry] qui ne vit jamais ni un inculpé ni un témoin. Une ordonnance générale de non-lieu intervint dans ces conditions au mois d’août 1929. »

Mrs. de Noblet, ayant alors demandé au Ministre (Briand) d’ouvrir une enquête sur ces faits fut traduit devant un Conseil de discipline auquel l’examen était interdit :

« Peu de temps après l’agent auxiliaire du département dont le témoignage spontané avait permis de constater les démarches après mon départ de Paris était brutalement renvoyé de ses fonctions.

« Ayant ainsi épuisé tous les recours administratifs, je déposais une plainte en dénonciation calomnieuse et arrestation arbitraire dont l’instruction fut confiée à M. Brack. Ce dernier ayant décidé d’entendre des témoignages et de faire des perquisitions au Quai d’Orsay, la lettre suivante fut adressée par M. Briand à M. Raoul Péret[7] :

Mrs. Briand se réfère d’abord à l’éventualité d’une convocation de M. Léger, son Chef de Cabinet, devant le juge d’instruction pour y être entendu comme témoin mais, dit-il,

« Je dois néanmoins observer qu’en aucun cas et à aucun titre la responsabilité personnelle de M. Léger ne saurait être mise en cause dans une affaire où il n’a jamais eu à intervenir qu’administrativement, sur mon ordre et sous mon contrôle direct c’est-à-dire en constant accord avec moi, pour transmission ou exécution de mes instructions.

« Je ne saurais donc admettre que le Chef de mon Cabinet eût à répondre de ses actes administratifs, accomplis sous ma seule autorité. »

Mrs. Briand termine en défendant son département d’avoir eu « à formuler contre personne de dénonciation d’aucune sorte, objet de la plainte de M. de Noblet ».

Admirable monument de l’intrusion d’un ministre politicien aux abois dans l’administration de la justice ! Sur ce, poursuit la lettre de M. de Noblet :

« M. Léger ayant été inculpé, Mrs. Raoul Péret eut la faiblesse de remettre cette lettre à M. Brack, and 48 heures l’enquête judiciaire était classée sans instruction, contrairement à la loi, puisque j’avais porté plainte directement contre le Ministre qui s’interposait ainsi entre les inculpés et la justice.

« À l’heure actuelle la Cour de cassation est saisie d’un recours pour refus d’informer contre le Ministre, sur ma plainte en dénonciation calomnieuse. D’autre part, les faits d’arrestation arbitraire sont instruits par un Conseiller à la cour d’appel, à raison de la qualité d’officier de police judiciaire de M. Faux-Pas-Bidet. Ces faits sont flagrants et avoués. Leur caractère arbitraire ne saurait être contesté, puisqu’il est universellement admis que les arrestations et détentions opérées en dehors de l’autorité judiciaire en vertu des pouvoirs exceptionnels accordés au Préfet de police par l’article 10 du Code de procédure criminelle (article dont on a demandé tant de fois et à juste titre l’abrogation) doivent être tout au moins accompagnées d’un mandat délivré dans les mêmes conditions qu’au juge d’instruction. Or, AUCUN MANDAT N’A ÉTÉ DÉLIVRÉ, et c’est sur l’unique intervention de M. Léger que les opérations policières se sont déroulées.

« J’ai l’honneur, monsieur le Président, de vous prier de bien vouloir examiner ce dossier, la commission d’enquête pouvant seule faire toute la lumière sur les actes de CORRUPTION, DE TRAFIC D’INFLUENCE, DE COMPLAISANCE INTÉRESSÉE, QUI ONT RUINÉ L’ACCORD franco-anglais, aussi bien que sur les interventions politiques qui ont permis de forger de toutes pièces une accusation d’espionnage et qui depuis lors ont sans cesse aidé et protégé les coupables. »

Comme on le voit par cette lettre, là encore la Commission d’enquête a du pain sur la planche. Trahison d’un Ministre, abus de pouvoir et chantages de police, forfaitures, cette affaire Hearst – Briand – Peycelon – Léger – André Benoist[8] – Faux-Pas-Bidet – Barthou – Péret offre à M. Louis Marin un beau tableau de gibiers de potence, et au peuple français de quoi être édifié sur la sécurité qu’il y a pour le pays et pour les citoyens à subir « la République ».

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[1] Rubrique que tient régulièrement Maurras dans L’Action française. Il y a annoncé la publication de la lettre de Noblet le 19 February (L’Ami du Peuple avait le premier révélé l’existence de cette lettre la veille) et l’a publiée le lendemain.
[2] L’Écho de Paris.
[3] Sur G. Peycelon, voir note p. 148.
[4] André Benoist, Directeur de la police judiciaire de la Préfecture de Police depuis juin 1928, chargé des liaisons avec chargé des liaisons avec la sûreté.
[5] Noblet avait écrit 16 heures dans le rapport confidentiel transmis à Briand en date du 12 th 1929 (Annexe VII, p. 177).
[6] L’affaire Oustric a impliqué Raoul Péret (cf. p. 107), qui fut Garde des Sceaux, André Benoist (cf. note p. 184), le Directeur de la police judiciaire à la Préfecture de Police à Paris, mais aussi G. Peycelon, du fait de l’existence d’un bon qui porte ses initiales « G.P. Aff. It. » et au sujet duquel il a été interrogé par la Commission d’enquête parlementaire (cf. entre autres journaux Le Figaro from June 18 February 1931). Sur G. Peycelon, voir note p. 148.
[7] Sur R. Péret, cf. note p. 107.
[8] A. Benoist, Directeur de la police judiciaire de la Préfecture de Police de Paris a été comme Péret (cf. note p. 107) impliqué dans l’affaire Oustric (accusé d’avoir reçu du banquier Oustric un bon « à initiales » d’un montant de 17.000 francs pour lui éviter des poursuites), il sera placé en disponibilité par le ministère de l’Intérieur en 1931, acquitté par la Cour d’Assises de la Seine en 1933 et mis à la retraite en 1937.

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