Dans la mine du Crayon qui tue
exposition virtuelle
Malgré la crise sanitaire, la Fondation a souhaité vous présenter l’exposition Dans la mine du Crayon qui tue : livres et œuvres visuelles. Pour cela, nous avons demandé à Thieri Foulc, commissaire de l’exposition, de nous présenter en quelques lignes chacune des œuvres.
Découvrez l’exposition ci-dessous !
Cette huile sur toile non datée a été choisie pour sa présence sauvage. C’est vraiment la peinture qui tue. Cela par son format (près de 2 mètres de long) mais surtout par la violence contenue de ces têtes qui ne font rien d’autre que d’être là, prêtes à laisser éclater leur rage par la seule vertu de la peinture. JMQ, comme il signe, a peint ou dessiné bien des têtes hilarantes ou brutales, et le Crayon qui tue en a reproduit certaines dans les deux livres qu’il a publiés de lui. Car, fils d’un écrivain fameux, Queneau le peintre s’est révélé lui-même écrivain, en tout cas épistolier, et d’un tempérament hors du commun. On appréciera sa verve, sa folie, mais aussi sa délicatesse dans sa Correspondance avec le poète Alcide Mara et dans ses Résurrections.
Ces quatre peintures à l’acrylique montrent les arrière-fonds de la « mine » du Crayon qui tue. Elles font partie d’une vingtaine de toiles réalisées en 1985, qui toutes révèlent des rencontres bestiales et copulatoires — au lecteur d’en expertiser le détail. Leur titre d’Amours impossibles reprend celui de la contribution d’Arrabal au happening panique organisé vingt ans plus tôt par Jodorowsky à l’American Center, happening qui tétanisa le Tout-Paris. Mais Arrabal, s’il a réalisé des peintures, des collages, des assemblages (qu’il appelle « poèmes plastiques ») est surtout dramaturge. Il a confié ses dernières pièces au Crayon qui tue : L’Adieu aux dinosaures, L’Extravagante Réussite de Miguel de Cervantès et William Shakespeare, Sarah & Victor (livre d’artiste avec des bois gravés de José San Martin), outre son analyse échiquéenne d’Une partie pataphysique de Marcel Duchamp.
Les trente-trois Décervelages d’André Stas exposés à la Fondation sont issus d’une mine de cent soixante-trois exécutés en juillet et août 2019. Ils révèlent ce qu’on trouve à la place du cerveau quand le sujet n’est pas trop pauvre d’esprit. Les collisions dues au collage forment des rêves inconnus de qui a conservé son simple cerveau anatomique. Il y a une raie manta qui plane au-dessus d’une ville, la nuit. Il y a des villes congelées et des bibliothèques dégoulinantes. Il y a le décervelé qui se retrouve dans son propre crâne, avec un lustre dans le plafond. Une explication de ces prestiges est fournie par un rapport du Dr Bouché : La Vérité sur les crimes de Jacques le Décerveleur, dans l’ouvrage Décervelages qui n’attend que d’être déconfiné pour apparaître au public. André Stas, artiste et écrivain notoire de la « Belgique sauvage », a déjà donné deux livres au Crayon qui tue : Les Nègres du Kilimandjaro, qui est un collage de phrases empruntées à toute la littérature, et Ubu roi traduit en français sans e selon la méthode de Perec.
Quatre Décervelages de Stas qui figurent, non dans l’exposition murale mais dans le livre Décervelages.
Portrait né de la connivence entre l’Oulipo, l’Oupeinpo et le Crayon qui tue. Il a été exécuté in vivo lors du tournage d’un film où Paul Fournel lisait son Portrait textuel de Zaaf. Oublié aujourd’hui, Zaaf était, dans les années 1950, un coureur cycliste des plus populaires : il s’adjugeait systématiquement la dernière place du Tour de France. Un jour qu’on l’avait laissé s’échapper sous le soleil des Corbières, il fut pris d’un malaise. Rafraîchi à grands jets de vin rouge par les autochtones, ce bon musulman vierge d’alcool remonta sur sa machine et repartit… en sens inverse, croisant ses poursuivants et regagnant sa dernière place. Ainsi entra-t-il dans la gloire. Le texte de Paul Fournel est écrit dans la « forme » oulipienne, définie par lui, de C’est un métier d’homme. Le portrait onomométrique est « contraint » oupeinpiennement par des proportions tirées du nom et du prénom de la personne portraiturée (A = 1, B = 2…, Z = 26) au lieu des triviales proportions optiques. Ce Portrait, texte et dessin, figure dans les Formes cyclistes de Paul Fournel, avec quatre dopages visuels de Thieri Foulc (Au crayon qui tue, 2012).
Ce caisson judicieusement accroché au-dessus de la porte de l’exposition a donné son titre au livre de Miller Lévy paru au Crayon qui tue en 2014. Car, assure l’artiste, c’est « empreint d’une grande conscience des sinistres possibles que j’ai résolu de plafonner, dès le titre, les éventuels dommages ». Cette modestie l’honore et le distingue des « conceptuels » au sens casse-pieds du terme. Ses œuvres se situent dans un espace mental entre un objet apparent et le propos toujours inattendu dont il est le prétexte. Parmi les objets ou non-objets les plus typiques de Miller Lévy figurent ses Oulipismes : par mixage de deux « Que sais-je ? » il fait naître dans l’imaginaire des paires de disciplines prometteuses telles que La Littérature du hasard et L’Exploitation fantastique, La Géométrie féminine et La Sexualité projective, La Prolifération d’art et La Critique nucléaire. On l’a compris, si l’auteur — l’ôteur — ne fait pas partie de l’Oulipo, il n’en est pas loin, et il est Régent du Collège de ’Pataphysique.
Ce grand dessin au fusain daté de 2000 signe l’idée de l’exposition : il s’agit moins de montrer les œuvres publiées dans les livres que de suggérer de quelle « mine » ces livres sont issus. Olivier a peint et dessiné sur plus de trente ans le Retour de l’éléphant prodigue, suite d’œuvres ou d’épisodes qui a fait l’objet d’un livre au Crayon qui tue. Mais alors que dans le Retour c’est l’éléphant qui est au centre des préoccupations — l’éléphant, ses déplacements, ses métamorphoses, son enfouissement terrestre, sa squelettification — il est ici comme l’ombre, le gardien, voire le rêve révélé de la jeune dame qui se promène nue dans le paysage. Lié à Topor et à Arrabal dans le groupe Panique, Olivier O. Olivier fut également membre de l’Ouvroir de Peinture Potentielle. Le Crayon qui tue publia encore de lui des Morceaux choisis (des « morceaux » de nu, au fusain) et des Aventures sur le lac (un conte érotique).
Ce grand dessin au pastel sec fait partie des arrière-plans ou de la « mine » du Crayon qui tue. Il montre un paysage des environs de Vézelay où Claude Stassart-Springer a installé ses éditions de la Goulotte. Elle y publie des livres d’artiste entièrement linogravés de sa main, texte et images, notamment en 2009 Tout n’est pas rose, poème d’Alcide Mara, avec des images d’après Jean-Marie Queneau. Pour le poète qui se rendit sur place et arpenta ces alentours de Vézelay avec ses amis, ce fut une période heureuse, évoquée d’indirecte et cocasse façon dans les Résurrections que publia le Crayon en 2017, avec d’autres pastels de Claudie et des textes de JMQ. On peut trouver Claude Stassart-Springer dans sa librairie-atelier, à Vézelay. C’est une grande artiste.
Outre ses Objets introuvables, Carelman fut célèbre par ses Exercices de style visuels. C’est lui qui proposa à Queneau et à Massin d’ajouter aux Exercices de style bien connus de Raymond Queneau (1947) des exercices parallèles qui, n’illustrant pas les variations rhétoriques (comment l’auraient-ils pu ?), montreraient la même anecdote traitées en styles artistiques variés. L’anecdote, on la connaît : il y a, dans l’autobus S, un jeune homme au long cou qui se dispute avec un autre voyageur et qui réapparaît plus tard devant la gare Saint- Lazare où un ami lui conseille d’ajouter un bouton à son pardessus. Une magnifique édition sortit en 1963 avec trente-trois de ces exercices visuels, puis en 1979 une nouvelle édition avec quarante-cinq exercices. Nous montrons quatre des planches originales, dont la majestueuse Icône avec son autobus byzantin, lequel n’est d’ailleurs pas moins délicieux en miniature persane. Carelman, qui avait cofondé avec François Le Lionnais et moi-même l’Ouvroir de Peinture Potentielle en 1980, donna au Crayon qui tue une œuvre qui lui demanda des années, La Peinture au quart de tour, c’est–à-dire un portrait regardable des quatre côtés, à comparer avec divers exemples de dessins retournables dans deux sens seulement.
Ce Père Ubu terrible et de face a été trouvé avec un autre non moins terrible mais de profil et une Mère Ubu bien laide (« Vous êtes bien laide ce soir, Mère Ubu, est-ce parce que nous avons du monde à dîner ? ») après la mort de Carelman dans le débarras d’un commissaire-priseur qui vouait ces papiers à la benne. Il y avait aussi maintes photographies et croquis que Carelman avait réunis en vue de costumes pour Ubu roi. Car, Régent du Collège de ’Pataphysique et, entre autres, décorateur de théâtre, Carelman se devait de se colleter à ce « drame en cinq actes » d’Alfred Jarry, fondement de la pataphysique et, ce dit-on, du théâtre moderne. La notoriété de Carelman venait de son Catalogue d’objets introuvables décrivant dans le style des anciens catalogues de la Manufacture d’armes et cycles de Saint-Étienne des objets aussi logiques qu’inutilisables en notre monde trivial, tels que la Machine à écrire les hiéroglyphes, le Tandem pour personnes en instance de divorce (avec deux guidons en sens opposé), le Préservatif en dentelle ou, le plus célèbre, la Cafetière pour masochistes, dont nous exposons un exemplaire. Carelman fut l’un des premiers artistes amis à être publié par le Crayon qui tue.
Ce collage de plans de Paris lamellisés « avec correction angulaire » est une des œuvres emblématiques de Jack Vanarsky, de l’Ouvroir de Peinture Potentielle et de la Bibliothèque oupeinpienne publiée Au crayon qui tue. Ces plans de Paris découpés selon une verticale avec un décalage d’un centimètre sont remontés en corrigeant l’angle de façon que la boucle de la Seine forme une horizontale. Tous les quartiers de Paris bougent ; les monument se déplacent, se multiplient ou disparaissent. L’objectif est d’observer ce phénomène. Exposée au Centre Pompidou lors d’une manifestation sur l’urbanisme de demain, l’œuvre alarma le public et les professionnels de la prospective. Sculpteur, Vanarsky a exploré toute les voies de la lamellisation : son Triple portrait de Topor ou ses livres qui respirent grâce à des arbres à cames mus électriquement sont de grands exemples, en volume. Au Crayon qui tue il a aussi donné La Bête en moi, autoportraits « sans correction angulaire » d’après les têtes animalisées de Charles Le Brun, ainsi qu’un saisissant Sacrifice humain.
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