Prix Poésie21 2023
Soirée de remise du prix le vendredi 12 janvier 2024 à 18h30 – Bibliothèque patrimoniale et Archives municipales Michel-Vovelle, Aix-en-Provence
Le vendredi 12 janvier 2024, en soirée, a eu lieu la cérémonie de remise du Prix Poésie21 dans une salle des Archives patrimoniales où est installée pour l’instant la Fondation Saint-John Perse (Aix-en-Provence). L’assistance fut nombreuse.
Téric BOUCEBCI a donné à son ouvrage le titre Mon corps-nuit attend l’aube (éditions Alcyone, -collection Surya, 58 p.) ; il confie au public que son projet poétique s’enracine dans des expériences de vie dans son enfance (alors qu’il pêchait en barque de nuit le long de la cote de Tipaza, ville romaine que célébra A. Camus, avec son ami Nabil avoir vu sa barque recouverte de poissons volants : était-ce normal ? N’était-ce pas une démonstration de la puissance du monde, de son désir de nous émerveiller) et à son adolescence (alors que la bibliothécaire de son établissement scolaire lui donne la tâche de déposer à la cave des livres il y découvre un tas de livres prêt à être jeter. Avec l’accord de celle-ci, il prend deux ouvrages à la belle reliure qui retienne son regard : l’un était les poèmes de Ronsard, l’autre ceux de du Bellay). Il faut ajouter des rencontres et des amitiés avec des poètes et notamment Yves Broussard, André Ughetto, Jean-Max Tixier, Joëlle Gardes, Bluma Finkelstein, Majid Khaoua, Claude Beausoleil et Yves Namur qui préface cet ouvrage.
Alors il est facile de comprendre que son attention s’est portée sur ce type de rencontres exceptionnelles. « La nuit tient une place permanente comme métaphore du chaos intérieur qui ouvre une autre lumière, à l’égal de celle diffusée par les étoiles lointaines », souligne-t-il. C’est à une véritable herméneutique que nous sommes conviés, l’occasion de recenser la multitude de signes qui nous environnent et donnent à « l’aventure humaine d’aller vers l’infini de l’Univers ». En tant que consultant psychologue auprès de sociétés au personnel important, il inscrit cette démarche de découverte de nos relations avec l’univers dont tout être humain est porteur, malgré oublis et inattentions. En exergue de tous nos efforts pour vivre, il faudrait dire avec lui : « La lumière semble venir de cette lointaine pensée que j’ai oubliée ».
Mon corps-nuit attend l’aube, nous révèle le poète, est construit autour d’un voyage intérieur au sein duquel la symbolique à travers chaque élément tient une place significative mettant en écho l’en-haut et l’en-bas. L’oiseau, capable d’échapper à la pesanteur, de s’élever dans les airs, donc de s’approcher des mystères du ciel apparaît sous trois espèces aux fonctions spécifiques : l’étourneau pour ses dons qui ont fait sa réputation de messager ou de magicien, le rossignol pour ce qu’il évoque de l’amour, la mouette qui se lit l’âme-muette. Les insectes, en relation avec les forces chtoniennes, mettent en avant les ressources nécessaires : l’araignée pour ses capacités créative, la luciole évoquant notre capacité à éclairer dans l’obscurité et la nécessaire transformation intérieur avec le papillon. Dans ce dépouillement nécessaire, il y a une transmutation évoquée par le végétal pour passer de la fleur à l’essence.
Mais aussi à ses yeux significatifs de la création poétique, et plus généralement de signes emblématiques d’une leçon de vie.
L’araignée tisse sans cesse
animée de l’espoir
de se nourrir de lune
et quand l’humidité
vient s’accrocher aux fils
elle tient là un festin,
quelques étoiles de nuit.
*
L’appel de la mouette
lancinant et strident,
en écho résonne.
Malgré le vent,
le cri résiste.
*
Tandis que les néons scintillent sur les façades ;
la luciole rêve et illumine la nuit.
*
Le chant du rossignol appelle le matin,
les brumes s’effacent
laissant la trace inassouvie des questions nocturnes
accrochés aux pétales que la rosée dissout.
Julie GAUCHER, qui ouvrit la session, fait sourire d’admiration l’assistance en évoquant son départ des hauteurs de l’Auvergne à cinq heures du matin, le dégivrage de son véhicule, la course sur le quai de la gare de Lyon pour récupérer une correspondance mise à mal par le retard du TER, et sa glorification de quelques cafés pour tenir le coup. Elle a publié en 2022 aux éditions du Volcan (79 p.) un recueil intitulé Et elles se mirent à courir. Il fut délicat, nous confie-t-elle, de passer d’une écriture universitaire (chercheuse à l’Université Lyon 1, elle a publié, entre autres, des travaux sur le sport et les femmes dans la littérature) à une écriture poétique qui nécessite l’engagement d’une subjectivité liée à une mise en exposition évidente. Très jeune, elle découvre la natation, notamment dans les « piscines tournesol », ces piscines en forme de soucoupe volante qui ont fleuri sur l’Hexagone dans les années 70. Mais les femmes n’ont pas toujours eu accès au sport et pour qu’elles puissent pratiquer, il a fallu des pionnières qui ont fait tomber les barrières. Entre préjugés et inadaptations à surmonter, entre regards dissuasifs des autres et bonheurs de joies partagées, sa personnalité s’est formée. Il fallait en témoigner et son recueil s’y voue en s’ouvrant aux difficultés que les femmes ont rencontrées pour être acceptées dans le domaine du sport.
Installée en Libye en 2011 où elle a enseigné le français, elle nous raconte que courir en public fut pour elle l’occasion de voir la violence des réactions de rejet (elle a eu beau couvrir ses bras, cacher ses cheveux sous une casquette, porter une tunique longue, rien n’y fit, les pierres pouvaient voler), mais voici deux strophes émerveillées d’un épisode de son aventure libyenne :
« Nager dans les ruines de Sabratha »
« Nous étions seuls dans les ruines de Sabratha
Le gardien nous avait proposé de planter notre tente
Dans un vaste terrain vague
Aux abords du site archéologique
Nous étions seuls et nous avons mangé nos fruits
Sous un ciel allumé d’étoiles
L’aube nous a livré le plus beau des spectacles
Ruines offertes
Désertes
Nous avons parcouru silencieux les allées
De Sabratha endormie
Le sable de la plage, soulevé par la brise,
Venait caresser les colonnes de grès couchées,
Dominos effondrés d’un autre temps,
Aucun panneau ne limitait l’accès aux stèles millénaires,
Aux vestiges phéniciens,
Aux temples romains,
– Qui venait dans ces ruines, seulement ? – »
Un autre poème (extrait) traduit le pouvoir de la filiation avec les figures sportives dont la poète se sent l’héritière :
« J’ai mesuré ce que je devais à cette femme
Que je n’avais jamais connue :
Elle avait ouvert les portes du stade
A mes aïeules, à ma mère, à mes tantes
Elle avait donné la soif du grand air, de l’effort
Aux jeunes filles d’hier
Qui, à leur tour,
Avaient pris les jeunes filles d’aujourd’hui par la main
Pour les conduire sur la cendrée »
Retrouvez la suite du compte-rendu de la huitième remise du Prix sur le site Poésie21.org.
Le prix Poésie21 a pour but de promouvoir une création poétique, musicale ou picturale dont la forme artistique, libre, est propre à rendre compte d’un monde sous influence de la Beauté et appelle à une réflexion sur l’acte créatif.
Plus d’informations au sujet de ce prix sur le site www.poesie21.org.
Créé en 2016, deux ans après la disparition de la poète Lucienne Gracia-Vincent, le prix Poésie21 est résolument tourné vers le vingt et unième siècle, ainsi que le veut son nom. Il veut affirmer que ce siècle est en mesure de faire surgir de quoi inspirer les poètes au plus profond de leur sensibilité et imagination, et les invite naturellement à s’éloigner de la rive du siècle précédent. Ce qui s’ouvre est toujours l’acceptation d’une perspective.
Le prix Poésie21 a pour espoir que la poésie soit une des paroles les mieux entendues d’un siècle déjà commencé, et qu’elle en soit le recours et trouve les moyens adéquats pour le manifester. Que ces moyens soient nouveaux ou empruntent à d’autres époques, que les thèmes se modifient ou soient sans commune mesure, il est trop tôt pour le dire mais il revient au Prix de présenter cet enjeu aux poètes concourant au prix Poésie21.
Lucienne Gracia-Vincent est née à El Biar (Alger) le 31 janvier 1923. Orpheline de père, elle entre à 16 ans à l’École Normale, est envoyée en poste dans différentes écoles de l’Algérois. En 1957, elle s’installe avec son époux en France. Elle meurt à Aix-en-Provence, entourée des siens, le 27 novembre 2014.
Divers recueils de poèmes rythment sa carrière poétique : prix et distinctions honorifiques ont su en reconnaître la valeur.
Les thèmes inspirant sa poésie sont liés à l’intensité vécue d’expériences qu’elle jugea fondamentales : le pays natal, l’enfance, les rencontres, les voyages méditerranéens, la foi, la force d’exister.
Une cécité partielle, dans les dix dernières années de sa vie, lui donna l’occasion de manifester des dons de mémorisation au service de sa création. Elle composait de tête des sonnets qui lui apparaissaient dans leur forme entière et qu’elle transcrivait, au matin, de sa belle écriture devenue hésitante.
Sa poésie se veut une force agissante pour créer du bien, envers et contre tout, dans une absolue confiance en la vertu des poèmes à dessiner une configuration sensitive et abstraite universelle.