Pour fêter la poésie avec Alain Badiou : Paul Claudel, Saint-John Perse : l’intime comme épopée

Samedi 20 novembre 2021 à 16 heures – Amphithéâtre de la Verrière
En partenariat avec Les Écritures Croisées dans le cadre du Cycle Paul Claudel.

La rencontre sera suivie du vernissage de l’exposition Paul Claudel et Saint-John Perse, chemins croisés à la Fondation.

C’est jusque dans ma vie intime de très jeune homme que Saint-John Perse a fait, pour moi, son entrée. Sur une plage atlantique, au milieu des années cinquante, c’est en récitant des fragments de Exil, appris par cœur, que j’ai gagné l’amour de celle qui est devenue plus tard ma femme. Je ne voyais nulle opposition, mais une convenance secrète, entre la trouble venue, en moi, de l’amour, et la hauteur de vue quasi symphonique de choses comme :
« …Toujours il y eut cette grandeur, toujours il y eut cette splendeur,
« Et comme un haut fait d’armes en marche par le monde, comme un dénombrement de peuples en exode, comme une fondation d’empires par tumulte prétorien, ha ! comme un gonflement de lèvres sur la naissance des Grands Livres,
« Cette grande chose sourde par le monde et qui s’accroît soudain comme une ébriété.
Plus tard du reste, dans la grande strophe de Amers, je verrai le poète déployer lui-même la comparaison entre la grandeur épique de l’horizon marin et la levée intime de l’amour charnel, au point de comparer les amants à des guerriers :
  « Amour et mer de même lit, amour et mer au même lit…
Hommage, hommage à la véracité divine ! Et longue mémoire sur la mer au peuple en armes des Amants »
Quant au théâtre de Claudel, il est de part en part épopée historique et cheminement de l’amour. C’est dans le tumulte du monde que Prouhèze et Rodrigue, se cherchent, se trouvent, se perdent, se subliment. Et l’on sait que l’amour jamais résilié du poète, source intime de tout Le soulier de satin, se déclare sur un bateau qui fait route vers les aventures impériales que risque la France en extrême orient : Partage de Midi, sublimation directe de cet amour, associe le Midi d’une traversée marine à la déclaration de cet amour. Tout comme, au moment intense où, dans Le Soulier de satin, Prouhèze et Rodrigue s’accordent sur le point d’une dimension divine de leur amour impossible, c’est cette fois la Lune en personne qui hausse cet impossible à la hauteur de tout l’univers : « L’heure de la Mer de Lait est à nous ; si l’on me voit si blanche, c’est parce que c’est moi Minuit, le Lac de Lait des Eaux.
Je touche ceux qui pleurent avec des mains ineffables »
Si l’un et l’autre, Claudel et Saint-John Perse, l’un à l’école de l’autre, contre la prose nue, et contre le vers étroit, ont préféré le long verset, la stance épique, c’était largement pour faire advenir cette mystérieuse communion entre la rencontre amoureuse et le destin du monde.
Et c’est de tout cela que provient le titre de mon intervention : Paul Claudel, Saint John Perse, ou l’intime comme épopée. – Alain Badiou

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