Annexe X – Que sont-ils devenus ?
Les avocats
Me César Campinchi (1882-1941), avocat, conférencier et chroniqueur judiciaire, membre du parti radical socialiste, sera député à partir de 1932 puis Ministre de la Marine en 1937 jusqu’au 16 juin 1940, date à laquelle il s’embarque sur le Massilia pour continuer la lutte contre l’Allemagne. A été le premier avocat de Noblet en 1928.
Me Olivier Jallu (1879-1945), avocat à la Cour d’appel de Paris depuis 1902, prix Ernest Cartier en 1904, prononcera à ce titre, en 1905, le traditionnel discours de rentrée (sur le procès de Madame Bovary), membre du Conseil de l’Ordre des avocats (1931-1935 et 1939). Nettement marqué à droite, encensé par L’Action française. Bâtonnier sous Vichy. Avocat de Noblet en 1931.
Me Philippe Lussan (1873-1951), avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Président de l’Ordre des avocats. Pas d’autre renseignement en dehors du fait qu’il est le père de Claude Lussan (1910-2008), futur Président de l’Union internationale des avocats, et grand-père de Jean-Pierre Lussan (né en 1934), avocat à la Cour d’appel de Paris, tous avocats célèbres. Avocat de Noblet en 1930.
Me Gérard Rosenthal (1903-1992), d’abord communiste puis trotskiste après sa rencontre avec Trotsky (dont il sera le défenseur) à l’époque où il était un collaborateur de Torrès. Résistant pendant la guerre il rejoindra la SFIO à la Libération. Avocat de Deleplanque.
Me Georges Scapini (1893-1976) est comme Campinchi une forte personnalité mais autant marqué à droite que Campinchi, Rosenthal et surtout Torrès étaient marqués à gauche. Ancien combattant, premier député aveugle à siéger au Parlement (de 1928 à 1940). Nationaliste et farouchement anti-communiste. En juin 1940 il votera les pleins pouvoirs à Pétain, servira le régime de Vichy jusqu’au bout, Condamné par contumace à la Libération, vivra en exil jusqu’à un nouveau procès en 1952 qui va l’acquitter. Avocat de Noblet en novembre 1929.
Me Gérard Strauss, avocat à la Cour d’’Appel de Paris depuis 1922 Pas d’autre renseignement. en dehors du fait qu’il est petit-neveu de Paul Strauss, ancien Ministre de l’Hygiène, de l’Assistance et Prévoyance sociales (de 1922 à 1954), sénateur de 1897 à 1936. A défendu Deleplanque.
Me Henry Torrès (1891-1966) est connu pour avoir défendu de nombreux militants de l’extrême-gauche. Député de 1932 à 1936 et sénateur après la guerre. Il avait rejoint le Parti communiste dès 1920. Socialiste en 1928. Il a été le mentor de Robert Badinter aux débuts de la carrière d’avocat de ce dernier qui dresse son portait et lui rend hommage dans ses livres L’Exécution (paru en 1973) et L’Abolition (paru en 2000). Avocat de Deleplanque.
Les magistrats
Aubry, deuxième Juge d’instruction (en 1929) en charge, après Girard, de la plainte du Quai d’Orsay contre Deleplanque et Noblet. Non identifié.
Bracq, Juge d’instruction en charge de la plainte de Noblet contre le commissaire Faux-Pas-Bidet et Leger en 1931. Non identifié. Ne pas confondre avec le Juge Bracq tristement célèbre en Belgique.
Girard, premier Juge d’instruction (en octobre 1928) en charge de la plainte du Quai d’Orsay contre Deleplanque et Noblet. Pas d’autre renseignement sur lui, en dehors du fait qu’il est un des fils de Théodore Girard (1851-1918), sénateur des Deux-Sèvres (de 1895 à sa mort), ancien Garde des Sceaux (en 1910-1911) dans le deuxième Gouvernement d’Aristide Briand,. Son autre fils, frère du Juge d’instruction, Georges Girard, est journaliste parlementaire à Paris à partir de 1928, socialiste.
Le policier
Charles Adolphe Faux-Pas-Bidet (1880-1940), né à Rennes dans une famille d’immigrés venus de Shangaï souhaitait qu’on écrive « F. P. Bidet ». Son nom est la transcription phonétique de son patronyme en chinois. Ancien marin, entré à la Préfecture de police de Paris en 1909, il y est un des commissaires dits « spécialisés » du service des Renseignements généraux.
Sa spécialité : la Sûreté générale. Il est à la fois officier de Police judiciaire et le bras armé des services de contre-espionnage. Il a enquêté sur Mata-Hari et surveillé Trotsky, qu’il fit arrêter, interrogea personnellement (il parle sept langues dont le russe) et conduisit lui-même en Espagne lors de son expulsion en octobre 1916. Après la Révolution russe, Faux-Pas-Bidet avait été envoyé en mission militaire à Petrograd pour y installer un réseau d’espionnage. Arrêté le 1er septembre 1918, interrogé, torturé, jusqu’à ce que Trotsky, devenu Commissaire politique à la guerre, le repère, le rencontre… et le fasse libérer à l’occasion d’un échange de prisonniers. C’est en héros que Faux-Pas-Bidet est avec quelques autres accueilli à son retour à Paris en février 1919.
D’où sa renommée et son pouvoir dans la Police, tant à la Préfecture de police, quai des Orfèvres, qu’à la Sûreté générale, rue des Saussaies. En fait, c’est un électron libre et ne semble dépendre que de Briand. Son nom apparaît régulièrement dans la presse d’opposition à l’occasion d’affaires troubles, potentiellement gênantes pour Briand, comme l’affaire Horan ou l’affaire Koutiepov (enlèvement à Paris et disparition d’un ancien général tsariste).
Les Américains
William Randolph Hearst (1932-1951)
Pendant un demi-siècle, des dernières années du XIXème siècle, jusqu’à sa mort, il aura été le principal magnat de la presse américaine. Dans les années 1920, il possédait 20 quotidiens dans 13 villes, des magazines comme Cosmopolitan, Good House-keeping and Harper’s Bazaar, plus une société de cinéma et plusieurs radios. Ses journaux sont la parfaite illustration de ce qu’on appelle « la presse jaune » caractérisée par son goût pour le sensationnel et le scandaleux à partir de rumeurs ou de demi-vérités.
Marié et père de plusieurs enfants (Horan a un temps aidé ses deux fils dans leurs études), il vit aux yeux de tous avec une artiste de music-hall, Marion Davies, dont il a voulu – en vain – faire une star de cinéma. Orson Welles en 1941 s’en est inspiré pour son film Citizen Kane (dont Hearst a tenté en vain de détruire toutes les copies). Il s’est fait construire, entre Los Angeles et San Francisco, « le palace le plus démesuré des États-Unis » (Vanity Fair).
Le 13 septembre 1928 (avant donc que Deleplanque soit censé avoir reçu de Noblet, le 15, le document à l’origine de l’affaire), Hearst avait été reçu – et fort amicalement – par Berthelot et Briand, lequel a fait en sorte que Marion Davies soit décorée comme officier de l’Instruction publique. C’est vraisemblablement à cette occasion que Briand a fait remettre à Hearst le document réputé secret et c’est pour masquer ce fait qu’il a fallu inventer un bouc émissaire.
Hearst est pourtant connu comme « le chef de la presse philoboche-américaine[1] » mais Briand avait ses raisons pour que le document secret fuite aux États-Unis (faire échouer le compromis franco-anglais sur les armements navals).
Hearst a rencontré Hitler en 1934 et en a dit le plus grand bien. Il a vu pendant les dix dernières années de sa vie son pouvoir décliner irrémédiablement.
L’enlèvement de sa petite fille Patty Hearst en 1974 par un groupe de terroristes (puis la participation de celle-ci aux actions de ce groupe) ont occupé les médias pendant quelques années.
Harold Horan (naissance ca 1900 – décès après 1980)
Fils d’un officier de police de New York, choyé par sa mère, bon étudiant en lettres classiques, bon violoniste, il s’est lié d’amitié avec les fils de Hearst à Paris en 1926 alors qu’il étudiait le droit international à la Sorbonne. Les fils Hearst ayant des difficultés en latin et grec, Hearst paya Horan pour qu’il les aide. Horan fut si efficace que Hearst lui proposa de travailler pour lui en Europe, à Rome d’abord, jusqu’en 1927, puis à Paris, dans son l’agence de presse, l’International News Service[2]. À Rome il a rencontré Mussolini.
Peu après son retour aux États-Unis au tout début de l’affaire, il a quitté Hearst pour un autre magnat de la presse américaine, Henry Luce, et dirigea les bureaux de Time à Washington puis, à partir de 1940 ou 41, en Argentine, l’ensemble des bureaux de Time, Life et Fortune, tous créés par Luce, du nord au sud de toute l’Amérique latine. Outre le français et l’italien, il en vint à parler parfaitement l’espagnol.
Il se trouve que Noblet à la même époque était en poste à l’ambassade de France à Buenos Aires. Les deux hommes semble-t-il ne s’y sont pas rencontrés. Horan a ensuite vécu avec femme et enfants à Caracas au Venezuela comme Rédacteur en chef du Caracas Daily Journal et Directeur de la Chambre de commerce américaine jusque dans les années 1980.
Les inculpés
Roger Deleplanque (né en 1901, date de son décès inconnue, postérieure à 1950).
D’abord simple téléphoniste, il est un des principaux journalistes du Petit Bleu de Paris depuis 1922. Licencié fin octobre 1928 à la suite de l’affaire mais réintégré en octobre 1929, il sera Directeur politique de ce journal de février 1934 au 9 juin 1940. A collaboré aussi à L’Intransigeant à partir de février 1928 jusqu’au 9 juin 1940.
Dès 1931, il a publié un roman, Un crime au Quai d’Orsay (Paris, Alexis Rédier), lointainement inspiré de l’affaire Horan (Briand et Leger y sont très identifiables). Articles consacrés à ce roman dans L’Ami du Peuple du 13 juin et Le Petit Bleu de Paris du 23 juin 1931. Réédité en 1947 (article d’André Albert dans Le Grelot du 3 juin 1947).
Il fut un des passagers du Massilia, parti de Bordeaux le 21 juin 1940 avec ceux des hommes politiques français qui refusaient l’idée d’Armistice avec l’Allemagne.
On ignore ce qu’il a fait pendant les deux premières années de la guerre. Il a écrit régulièrement, du 12 juin 1942 au 2 juillet 1944, dans Le Petit Marseillais, un journal jadis républicain modéré, rallié à Pétain dès juillet 1940.
Arrêté à Paris (et transféré à Marseille) en 1945 comme « représentant officiel auprès des boches de Vichy » et éditorialiste du Petit Marseillais, « le grand journal de la Kollaboration » (Rouge-Midi, 13 février 1945).
En septembre 1946, il est un des fondateurs, avec Edmond Mary, des Éditions de l’Élan, spécialisées dans la réhabilitation des anciens collaborateurs et la dénonciation de « l’escroquerie de la Résistance » et de l’épuration, dont en 1948 un best-seller, Les crimes masqués du résistantialisme de l’abbé Desgranges.
Créateur en décembre 1950 et Directeur du mensuel France-univers – Actualités internationales illustrées (un seul numéro paru).
Jean de Noblet d’Anglure (1898-1964)
Il a onze ans de moins que Leger. Licencié ès lettres et en droit, diplômé de l’École des sciences politiques, il réussit le concours des consulats le 23 mai 1921, l’année où Leger revient de Chine, et est aussitôt nommé à Constantinople comme attaché d’ambassade puis comme Secrétaire d’ambassade à Athènes en 1924.
Affecté au Service de presse du Ministère en janvier 1927, il y prendra son poste en avril comme rédacteur-traducteur. Quand l’affaire éclate, il n’est vraiment ni un débutant, ni un subalterne.
Réintégré comme Secrétaire d’Ambassade en septembre 1939 (en application de la loi d’amnistie du 12 juillet 1937) ; il est aussitôt nommé à Buenos Aires. Promu Conseiller d’ambassade de première classe le 1er janvier 1942, il démissionne en novembre 1942 à la suite de l’occupation complète du territoire. Révoqué par Vichy le 15 octobre 1943, il se rallie à Giraud puis à De Gaulle. À Buenos Aires, il fait l’objet pendant toute l’année 1943 de nombreuses attaques dans La France nouvelle, qui ne croit pas que « le vicomte de Noblet d’Anglure veuille [vraiment] servir la ‘Gueuse’ », lui qui a été « le respectueux et dévoué collaborateur du super-collaborateur Laval » (La France nouvelle, 26 mars et 9 avril 1943). Il se trouve qu’à Buenos Aires pendant la guerre réside Horan. Les deux hommes semble-t-il ne s’y sont pas rencontrés.
Il revient en France à la fin de l’été 1944, se marie l’été suivant, est affecté à l’ambassade de Moscou (le 5 juin 45) et promu Conseiller d’ambassade de 1ère classe le 16 juillet, placé hors cadre le 29 juillet 1946 et mis à la disposition à Berlin du Commissariat général pour les affaires allemandes et autrichiennes, maintenu en service détaché et promu administrateur civil de 1ère classe le 9 février 1948. Il bénéficiera tardivement, le 7 janvier 1949, d’un rappel de promotion à compter du 7 octobre 1946 (administrateur de 3ème classe, 3ème échelon). Il aura le titre de Ministre plénipotentiaire en août 1949. Chevalier de la Légion d’honneur en août 1946 et officier en août 1951. Il ne sera jamais ambassadeur nulle part malgré des demandes répétées. Il a en effet été à la fois remercié et félicité pour les missions qui furent les siennes vis-à-vis des Russes mais aussi suspecté de duplicité. En 2014, Thierry Wolton lui a consacré plusieurs pages fort documentées dans son livre La France sous influence chez Grasset.
Il meurt en 1964.
Sur son lit de mort à l’hôpital, il a évoqué l’affaire Horan devant son fils François, 17 ans à l’époque. Celui-ci nous a rapporté ses paroles : « Ce fut une affaire épouvantable. Je n’ai jamais cédé. Tu sais comme je suis obstiné. On m’a fait dire des choses que je n’ai jamais dites ».
À la suite de la publication dans Le Monde, le 29 octobre 1968, d’un article que ses amis considèrent comme diffamatoire, son fils a publié une mise au point dès le 31 : « Mon père n’a jamais été révoqué pour des motifs politiques ; s’il le fut, c’est pendant la Résistance, et il fut réintégré ensuite au ministère des Affaires étrangères. Son action diplomatique a été celle de son gouvernement, ses relations, celles qu’appelaient ses fonctions ».
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[1] L’Action française, 9 mai 1929.
[2] Les données personnelles sur Harold Horan proviennent d’une interview de l’ambassadeur Hume Horan, son fils adoptif (1934-2004), réalisée en novembre 2000 pour l’Association for Diplomatic Studies and Training (manuscrit à la Library of Congress).