Une tentative de déstabilisation d’Alexis Leger : l’affaire de Noblet-Briand-Leger
Pour la droite (Le Figaro) et surtout l’extrême droite (L’Action française), il s’agit d’un épisode de leur combat habituel contre Briand et le socialisme, mais en 1930, puisqu’elle concerne le Quai d’Orsay et spécialement Alexis Leger, directeur du cabinet du Ministre, elle est une machine de guerre contre le Memorandum d’autant que la presse étrangère s’en fait largement l’écho.
L’affaire remonte à octobre 1928. Un document confidentiel (une note de Philippe Berthelot sur un compromis naval franco-britannique établi à la suite d’une conférence à Londres) se retrouve publié aux États-Unis dans les journaux du magnat de la presse William Randolph Hearst (c’est lui qui a servi de modèle à Orson Welles pour son film Citizen Kane). Hearst est pro-nazi. La publication du document a fait capoter les négociations franco-anglaises, perçues comme dirigées contre l’Allemagne.
Thèse officielle : un fonctionnaire du Quai d’Orsay, Jean de Noblet, 3e secrétaire d’ambassade, serait responsable du vol du document, avec la complicité d’un journaliste, Roger Deleplanque, agissant pour le compte d’un journaliste américain du groupe Hearst, Harold J. T. Horan. Ce dernier perd ses accréditations à Paris. De Noblet a été arrêté par la police puis mis en congé par son administration.
“L’affaire de Noblet-Briand-Leger, I”, L’Action française, 14 août 1930
(texte intégral, site de Gallica : cliquer sur l’image)
Mais de Noblet, soutenu par sa famille, les de Noblet d’Anglure, refuse de jouer les fusibles et porte plainte avec constitution de partie civile (mars 1929) contre un commissaire de police pour séquestration arbitraire et contre Alexis Leger pour diffamation. Selon lui, Leger serait lui-même à l’origine de la fuite (on sait que de tout temps, Alexis Leger a utilisé la presse au mieux des intérêts de son ministre). Il accable Leger dans le récit qu’il en publie dans L’Intransigeant le 9 avril. Le but de Leger ? Il se serait agi pour Briand et lui de faire capoter les négociations franco-anglaises pour ne pas fâcher l’Allemagne, la réconciliation franco-allemande et la paix étant au cœur de l’action de Briand. Pour Leger, une autre pensée pouvait l’animer : discréditer Berthelot. Briand et Leger sont entendus par la justice. De Noblet est convoqué devant un Conseil de discipline réuni le 14 novembre 1929. Il est révoqué le 27 avril 1930. La justice prononce un non-lieu en faveur de Briand et Leger en juillet (“arrêt de complaisance tonne L’Action française) mais de Noblet se pourvoit immédiatement en cassation auprès du Conseil d’État. Le 2 septembre, Hearst, est refoulé à la frontière et toute la presse américaine rappelle l’affaire, du New York Times au Milwaukee Journal.
Et pendant ce temps-là… Le discours de Briand à Genève est du 5 septembre 1929, la rédaction du Memorandum est terminée le 1er mai 1930, il est adressé aux capitales le 17, jusqu’en juillet il n’est question que de lui dans la presse, en septembre se tient à Genève la réunion qui tente une synthèse des réponses reçues… Dans toute cette période, surtout à partir de juillet, L’Action française se déchaîne au sujet de “L’Affaire de Noblet – Briand – Leger”… Elle ne cessera ses attaques systématiques que lorsqu’il sera clair que le projet de fédération européenne est mort-né mais y fera référence encore pendant des années, comme illustration des tares de la République.
“L’affaire de Noblet-Briand-Leger, II et III”, L’Action française, 15 et 16 août 1930
(texte intégral, site de Gallica : cliquer sur les images)
Roger Deleplanque, devenu après la guerre directeur politique du journal Le Petit Bleu, créera une collection de livres spécialisée dans la réhabilitation des anciens collaborateurs et publiera dès 1947 un roman à clés, très largement inspiré de l’affaire, sous le tire Un crime au Quai d’Orsay. Briand, Leger, y sont très reconnaissables.
Sources :
Archives nationales, Division criminelle du Ministère de la Justice, dossiers banaux, 1e série, 1890-1940 (20 BL 320)
L’Action française, 23/11/1929, 11/07/1930, 12/07/1930, 13/07/1930, 16/07/1930, 20/07/1930, 23/07/1930, 26/07/1930, 27/07/1930, 29/07/1930, 30/07/1930, 7/08/1930, 14/08/1930, 15/07/1930, 16/08/1930, 19/08/1930, 8/09/1930, 14/09/1930, 16/10/1930, 17/10/1930, 20/02/1931, 1/05/1931
L’Express du Midi, 21/11/1929
Le Cyrano, 21/10/1928, 28/10/1928, 24/02/1929, 7/07/1929, 1/03/1931, 3/05/1931, 10/05/1931, 17/05/1931, 24/05/1931, 3/04/1932, 2/03/1934
Le Figaro, passim, 12/07/1930, p. 4
Le Petit Parisien, passim, 30/04/1931
New York Times, passim, , 3/09/1930
The Milwaukee Journal, 3/09/1930