Préparation du Memorandum
Le 5 septembre 1929, devant la Xe Assemblée de la Société des Nations, Aristide Briand a lancé l’idée de l’institution d’ “une sorte de lien fédéral” entre les pays européens pour qu’ils aient “à tout instant la possibilité d’entrer en contact, de discuter leurs intérêts, de prendre des résolutions communes, d’établir entre eux un lien de solidarité [et] leur permette de faire face, au moment voulu, à des circonstances graves, si elles venaient à naître ».
Le 9, les représentants des 27 pays européens membres de la SDN se réunissent entre eux à l’Hôtel des Bergues, donnent leur accord et à l’unanimité chargent la France de préparer un document qui leur sera soumis puis étudié collectivement.
On y travaille au Ministère des Affaires étrangères pendant tout l’hiver, plusieurs projets sont élaborés, Briand charge Alexis Leger, son directeur de cabinet, de la rédaction du document. Il a fait le choix de la jeunesse et de l’ambition contre celui de la tradition incarnée par le secrétaire général du Ministère des Affaires étrangères, Philippe Berthelot (photo ci-contre). Celui-ci se trouve marginalisé. Alexis Leger a terminé la rédaction du document le 1er mai (le manuscrit en est aujourd’hui conservé aux Archives du Ministère des Affaires étrangères). Il est imprimé, adressé aux capitales européennes et diffusé dans la presse le 17.
Un certain nombre de mouvements, notamment à dominante française, tels l’Union douanière européenne ou la Coopération européenne se sont vantés d’avoir eu une grande influence sur les projets européens d’Aristide Briand. Il est vrai que le Quai d’Orsay suit de près les travaux de ces associations qu’il subventionne et dont les analyses trouvent un écho visible dans les projets diplomatiques français. Il est sûr que Briand s’appuie sur le mouvement pan-européen pour appeler à la création d’une Europe fédérale. Voilà pour les idées. Mais quid de leur traduction pratique dans le document, quelle est la part de chacun dans sa conception ? Plusieurs y ont travaillé au Ministère.
Alexis Leger, fort de la confiance de Briand, est de tous le plus ambitieux et novateur, son approche est globale et d’abord politique. Berthelot, réduit à travailler dans l’ombre, est notoirement réticent, comme nombre de hauts fonctionnaires, notamment René Massigli, secrétaire de la délégation française à la Société des Nations (photo ci-contre), Jacques Fouques-Duparc et Roger Seydoux, membres de cette même délégation, qui pensent que Briand est trop conciliant avec l’Allemagne, souhaitent aller lentement, ont une approche plus économique, insistent sur les questions techniques comme le travail, les questions sociales, le transit, refusent l’idée d’organes communs européens. La synthèse a failli se faire sur la base de leur projet, enrichi de quelques points empruntés à Leger, ce sera l’inverse, le ministre a tranché : le projet sera d’abord politique, inclura des organes communs, comme proposé par Leger, et évoquera in fine quelques questions techniques. Il n’est donc pas abusif de dire que le Memorandum, dans sa conception, est en grande partie l’œuvre d’Alexis Leger et dans sa rédaction, entièrement.
Nombreux documents (notes, observations) préparatoires au Memorandum ainsi que son texte (manuscrit, imprimé) dans les archives diplomatiques conservées à la Fondation Saint-John Perse. Aucune trace de Fouques-Duparc. Trois lettres de Seydoux (de 1946) ainsi que son “soi-disant hommage à la mémoire d’Alexis Leger mais au vitriol”. Il est en effet une des personnalités qui ont mis à mal la mémoire d’Alexis Leger dans leurs ouvrages, au premier rang desquels se trouve Massigli (article dans Contrepoint en 1980). Berthelot est plus présent dans la correspondance privée (de 1916 à la mort de Berthelot en 1934) que dans les archives diplomatiques.