New York, Samedi 28 mars 1942
Hommage international à Aristide Briand
Université de New York, Samedi 28 mars 1942
Discours d’Alexis Leger
C’est le seul discours qu’Alexis Leger ait prononcé en public aux Etats-Unis. Il en a reproduit intégralement le texte dans Honneur à Saint-John Perse en 1964 (p. 716) puis dans son Pléiade (p. 605).
La Fondation en possède le manuscrit (17 feuillets très surchargés). Le poète a donné les références de sa première publication, aux Etats-Unis, en français, en 1943 (il a lui-même fait don de cette mince brochure à la Bibliothèque nationale), il est plus allusif quant à sa toute première publication, en anglais, par l’Université de New York, dès 1942. C’est que son texte y voisinait avec ceux des autres orateurs qui, comme lui, avaient participé à la manifestation.
De ces autres orateurs, il ne parle nulle part, ni ne précise que la manifestation avait été organisée par Coudenhove-Kalergi. Il suggère au contraire avoir été au centre de l’intérêt général. Le Président Roosevelt se serait personnellement impliqué dans la publication de son texte en français. Dans une lettre envoyée à son amie Lilita Abreu, peu de jour avant l’événement (15 mars), Alexis Leger s’enorgueillit de parler le premier, d’avoir obtenu de parler en français, et deux fois plus longtemps que les autres.
L’annonce de la manifestation puis ses comptes rendus dans la presse, par exemple le New York Times permettent de rectifier la perspective. De même la brochure Addresses in commemoration of the eighteenth anniversary of the birth of Aristide Briand, qui reproduit la transcription de toutes les interventions.
Denis de Rougemont était dans la salle. Il a écouté le discours “d’un bout à l’autre avec une émotion soutenue” et cela “dès l’attaque de la deuxième phrase, Quel était donc cet homme […], jusqu’au coup d’archet final de la péroraison”. Qui parlait ? Alexis Leger ? Saint-John Perse ? “Dans la salle a résonné une grande prose musicale, et qui n’est pas indigne du poète d’Exil et d’Anabase”.
L’émotion et la force de tout ce qui unissait Alexis Leger à Briand explique le recours, absolument exceptionnel chez lui, à la première personne, et l’aveu de son émotion :
J’ai accompagné Aristide Briand à Washington, à Londres, à Locarno, à Bruxelles, à La Haye, à Madrid, à Berlin… […]
L’agonie de Briand !… Qui donc pourrait sonder l’abîme de ce drame ? Je n’en ai connu que le reflets, dans cette modeste chambre où nous étions trois à le veiller. […]
Le lendemain, j’étais à mon bureau du Quai d’Orsay. Une voix lointaine avait réussi à forcer la consigne de mes téléphonistes : c’était un vieux marin de la côte normande avec qui je m’entendais pour le gardiennage du petit voilier de Briand. “Monsieur, disait la voix, fait-il mettre en berne le pavillon ?”. L’émotion suspendait ma réponse…
Le passage le plus important pour l’auteur, en ce que son propre destin aux yeux de l’Histoire est indissolublement lié à celui de Briand, est sans doute celui où il évoque l’instrumentalisation, par le Régime de Vichy, du rêve de Briand d’une réconciliation franco-allemande et d’une Europe unie, caricaturé en un ordre nouveau en Europe sur fond de Kollaboration :
Ceux-là qui, en France, qui ont le plus violemment combattu l’offre de collaboration faite, sur pied de paix, en plein accord avec la communauté européenne, par une France victorieuse et forte à une Allemagne républicaine et désarmée, sont les mêmes qui devaient un jour trouver acceptable l’offre de collaboration faite, sur pied de guerre, au profit d’un ordre germanique, par une Allemagne totalitaire, impérialiste et raciste à une France asservie, opprimée et isolée.